Quand le déchet devient dessert : la recette gagnante des Kojiteurs

12 étudiants, un coproduit et un défi de taille : celui de l’alimentation durable. Voilà le point de départ de l’aventure des Kojiteurs, projet ambitieux mené par 12 étudiants ingénieurs de SupBiotech.
Leur idée ? Transformer le tourteau, coproduit végétal sous-exploité, en un ingrédient fermenté, comestible, capable de remplacer le sacro-saint cacao.
18 mois plus tard, le Prix du projet entrepreneurial du concours Cap Protéines et une double distinction — médaille d’argent et Prix Sciences et Technologies — au prestigieux concours Ecotrophelia en poche, Simon, responsable entrepreneurial, revient sur cette épopée, de sa genèse à son futur, en passant par l’impact de SupBiotech.

L’équipe des Kojiteurs : Olivier Collet, Juliette Faure, Séraphia Garcia, Emile Gresset, Simon Houdouin, Cléo Lauret, Adrien Mallié, Louis de Montgolfier, Louise Mourot, Maya Costes, Tristan Ragot et Sophie Sar
Du projet étudiant à la future licorne
C’est une histoire qui commence dans une salle du campus de Villejuif, Urielle M’be et Romain El Andaloussi, respectivement responsable du laboratoire des biotechnologies culinaires et de la mineure agroalimentaire réunissent la trentaine d’étudiants de la spécialisation avec une idée en tête : constituer une équipe pour porter les couleurs de SupBiotech au concours Ecotrophelia. Complémentarité des profils, motivation, expériences passées… 12 élèves ingénieurs sont retenus. Les Kojiteurs sont nés.
Une semaine pour définir le plan et les fondations
L’aventure peut commencer… ou presque. Car si l’équipe existe, il manque le plus important : le quoi et le pourquoi. Pendant cinq jours, les membres se retrouvent avec un objectif : définir un socle et des valeurs communes.
« Rapidement, on s’est mis d’accord sur trois choses : on voulait un produit sucré, faire de l’upcycling et utiliser la fermentation. Sucré, parce qu’on est tous gourmands, c’était presque une évidence. L’upcycling, parce qu’on voulait donner une seconde vie à une matière oubliée, lutter contre le gaspillage et s’inscrire dans une démarche de transition écologique. Et, enfin, la fermentation, parce que c’est un levier technique puissant, qu’on avait envie d’explorer jusqu’au bout. » se souvient Simon.
Ces trois piliers posés, place à l’exploration. L’équipe se plonge dans les publications scientifiques et les études, épluche les bases de données, cartographie les tendances et les signaux faibles. Elle examine les pratiques existantes, interroge les usages, identifie les impasses.
Très vite, un ingrédient oublié émerge : le tourteau, ce qu’il reste une fois l’huile d’une graine extraite. Des granules secs, riches en fibres et en protéines. Un coproduit végétal brut, dense, amer, largement réservé à l’alimentation animale. Peu sexy certes, mais local, stable et disponible en grande quantité.
Pour nos Kojiteurs, c’est la graine d’une révolution. Les prémices d’une alimentation plus durable. La parfaite matière première à retravailler. Le choix est fait.
Alors ils passent à la formulation. Essais, protocoles, ajustements. Texture, goût, comportement. Chaque étape est documentée, chaque test discuté, chaque écart corrigé. Ce n’est plus un projet de concours, c’est un travail d’ingénieur pro. « On voulait que ce soit solide. Avoir un vrai ingrédient, avec un goût et une texture. »
Et puis vient le déclic. Les choses sérieuses peuvent commencer.
« Un jour de septembre Émile sort du labo avec une pâte. Il me fait goûter. J’ai cru que c’était du cacao. Je lui demande ce que c’est, il me répond : “C’est notre produit.” Là, j’ai compris. On ne tenait pas juste un bon test, on avait quelque chose de concret. »
La rencontre de 12 cerveaux, une méthode bien rodée
À ce stade, tout change. Il ne s’agit plus de chercher, mais de construire. Il faut structurer l’équipe, répartir les rôles, poser les bases. Trois pôles sont créés : R&D, bio-production, marketing. Cléo devient cheffe de projet, Simon prend en main la partie entrepreneuriale. Le binôme pilote. Chacun trouve sa place. « On a très vite compris qu’on ne pouvait pas fonctionner à l’instinct. Il fallait des rôles clairs, des méthodes, un vrai cadre de travail. »
Quand les stages de fin d’études commencent, l’organisation se tend : réunions à distance, créneaux le soir, planning éclaté… mais l’équipe tient, toujours soutenue par Urielle et Romain. Une mini-entreprise sans statut, mais avec une vision et une rigueur partagées.
De grands enjeux, un sacré défi : qu’est-ce que c’est les Kojiteurs ?
Ni un produit, ni tout à fait un substitut. Ce que proposent les Kojiteurs, c’est une poudre fermentée, pensée pour s’intégrer facilement dans des recettes sucrées industrielles. Un nouvel ingrédient simple à utiliser, compatible avec l’ensemble de la chaîne de production, prêt à l’emploi. Surtout, un ingrédient pensé dans le respect de l’environnement.
À la base : les tourteaux végétaux, ces résidus oubliés, souvent réservés à l’alimentation animale. Transformés, fermentés, ils deviennent une poudre fine, nutritionnellement sûre, avec un goût marqué et un véritable intérêt technique. Une alternative crédible au cacao dont l’impact environnemental soulève aujourd’hui de réelles inquiétudes.
Déforestation, pression sur les sols, consommation massive d’eau, raréfaction des ressources naturelles, dépendance à des zones déjà fragilisées… là où la filière du chocolat inquiète pour son impact, les tourteaux, eux, sont des produits locaux, disponibles en quantité suffisante, sans besoin de nouvelles cultures.
Les revaloriser, c’est réduire les déchets, préserver les ressources naturelles, limiter l’empreinte carbone de l’alimentation et les effets de serre liés à la production agricole. Et tout cela, sans rien sacrifier au goût… c’est cela penser un projet dans une démarche d’alimentation durable.
Le goût du pari… et des trophées
Si le concours Ecotrophelia est le point de départ de l’aventure des Kojiteurs et de leur poudre magique, très vite, il dépasse largement cet objectif. L’ingrédient intéresse. Il intrigue. Il mérite d’être testé ailleurs, devant d’autres jurys, dans d’autres contextes.
Premier terrain de jeu : les IONIS Goodwills, concours interécoles qui permet à l’équipe d’obtenir une première aide financière. Puis vient le Cap Protéines Challenge. Cette fois, l’équipe remporte le prix du projet entrepreneurial et un chèque de 3 000 €. De quoi financer les prochaines étapes.
Et en juin 2025, c’est la consécration. Ecotrophelia. Le concours de référence en innovation agroalimentaire. Celui par lequel tout a commencé. Un jury d’experts, des projets venus de toute la France, une compétition relevée. Les Kojiteurs montent sur scène, défendent leur ingrédient, leur méthode, leur ambition… et repartent avec une médaille d’argent et le Prix Sciences et Technologies.

© Les focus d’Emilie
Une double distinction. Technique et stratégique. Mais surtout, un symbole. Ce qui avait commencé dans une salle de SupBiotech, dix-huit mois plus tôt, s’impose aujourd’hui comme une solution crédible, reconnue, attendue. C’est la fin d’un chapitre. Et le début de quelque chose de plus grand.
« Gagner un concours, ce n’est une fin en soi, ni un aboutissement. C’est un accélérateur. Un levier pour pouvoir passer à l’étape d’après et rendre notre projet plus concret et crédible. »
Le vrai défi commence : faire d’une alternative saine et durable une réalité industrielle
Avec Ecotrophelia derrière eux et leur diplôme en poche, les 12 étudiants sont à un tournant : personnel, professionnel, collectif. Alors, est-ce la fin des Kojiteurs et de leur révolution sucrée ? « Pas du tout ! » rassure Simon.
L’équipe prépare la suite. La start-up est en cours de création. Le dépôt de brevet avance. Et dès la rentrée, une nouvelle phase commence, celle de l’industrialisation, des levées de fonds, de la consolidation du modèle. Car le développement durable passe aussi par là : faire naître une solution industrielle qui respecte les équilibres environnementaux. Alors, plus question de rester dans les couloirs de l’école, le projet doit sortir des labos et entrer dans les cuisines des pâtissières et pâtissiers.
L’ingrédient secret ? SupBiotech
« Être ingénieur, c’est répondre à des enjeux et problèmes complexes en équipe. C’est la définition première du mot. Et c’est ce qu’on a appris pendant nos études. Il y a le socle académique bien sûr, les cours, la rigueur, la recherche, les protocoles… mais aussi tout ce qu’on fait autour. Les associations, les projets extrascolaires. Ce sont aussi des espaces où on apprend à travailler ensemble. C’est aussi ça la formation SupBiotech. »
Pour étudier, pour construire, il faut les bons enseignements. Et puis, il y a le cadre. Ce qu’on ne voit pas toujours, mais qui compte tout autant : l’environnement, les outils, les laboratoires, la posture des enseignants. « On a eu les mains libres. Et quand on avait besoin d’un coup de main, il y avait toujours quelqu’un. »
Aujourd’hui, plus besoin de cadre scolaire. Le projet tient debout. Ils ont une équipe, un produit, un réseau. Et l’habitude de travailler ensemble. La suite leur appartient. Mais ils ont toutes les cartes en main.